Par Moudachirou Gbadamassi, 21 avril 2025
Contexte
Aimables lecteurs, cet entretien a été enregistré à Midrand, en Afrique du Sud, à l’occasion d’une session du Parlement panafricain en octobre 2018 mais en raison des contraintes de temps du Président Malick Sy pour relire et valider l’entretien, il n’est publié que maintenant. Bonne lecture !
MLI-BAS : Bonjour doyen Malick Sy. On n’a pas toujours la chance de rencontrer les sommités de l’interprétation comme vous, des personnes qui ont écrit des pages importantes de l’histoire de notre profession en Afrique. Nous voudrions mieux vous connaître, surtout nous les plus jeunes qui sommes nés au moment où vous étiez en plein régime de votre carrière d’interprète. Nous voudrions connaître votre parcours : vos études, les organisations internationales par lesquelles vous êtes passé en tant qu’interprète permanent, en un mot, votre carrière à ce jour.
Malick Sy : Bonjour. D’abord c’est un honneur pour moi de pouvoir partager avec vous mon expérience, de vous dire mon parcours. Très brièvement, je dirai que j’ai fait ma formation d’interprétation à l’ESIT (École supérieure d’interprétation et de traduction) de la la Sorbonne, à Paris après un parcours dans les établissements scolaires du Sénégal. J’ai été étudiant au Sénégal avant. Après l’ESIT, j’ai immédiatement rejoint l’Organisation de l’unité africaine (OUA) où je suis resté pendant quinze (15) ans. Et après cela, j’ai commencé à travailler comme freelance. Et en tant que freelance, j’ai travaillé avec toutes les organisations internationales pratiquement.

MLI-BAS : A part l’interprétation, vous n’avez pas essayé autre chose comme d’autres collègues qui, par exemple, ont fait un peu de politique, ont été nommés ambassadeurs pendant un certain nombre d’années ou ont été ministres entre temps ?
Malick Sy : Je suis resté tout le temps dans l’interprétation et je dis souvent que la seule chose que je sais faire c’est l’interprétation. Disons que j’aime beaucoup cette profession et ensuite je suis un professionnel intrinsèque. Comme je dis souvent, si je dois revivre et choisir un autre métier je vais choisir toujours l’interprétation de conférence.
MLI-BAS : Ah ! Ça fait plaisir de l’entendre. Mais dans votre parcours, il y a quelque chose que vous avez sauté, je ne sais pas si c’est sciemment. Vous avez été, jusqu’à ce jour je crois, le seul africain à avoir été président de l’Association internationale des interprètes de conférence (AIIC). C’est quand-même une page importante de la profession sur le continent ! Pouvez-vous nous en parler un peu ?
Malick Sy : Oui, c’est vrai que de 1994 à 2000 j’ai été élu président de l’AIIC. Mais avant ça, j’avais été vice-président de l’AIIC de 1988 à 1991. Mais je ne m’en glorifie pas outre mesure ! Je pense que les professionnels africains doivent viser à atteindre le même niveau de performance, de représentation que les autres professionnels des autres continents. Et si vous examinez comment la profession est organisée, vous ne pouvez pas avoir une profession plus démocratique parce que, là je fais beaucoup de formations et les collègues que je forme, un an après ou deux ans après, gagnent exactement le même salaire que moi.
Et je voudrais profiter de cette occasion pour dire qu’il faudrait que les africains s’impliquent encore plus dans les activités de l’AIIC parce que, comme je le dis souvent, l’AIIC c’est comme une auberge espagnole : on n’y trouve que ce qu’on y apporte. Si nous ne sommes pas là pour défendre nos intérêts, personne ne les défendra à notre place.
MLI-BAS : Merci beaucoup pour avoir partagé cette période de votre carrière. Récemment, on a vu les interprètes du Parlement européen aller en grève. Alors, question à deux volets : que pensez-vous de ce mouvement de débrayage de nos collègues du Parlement européen ? Et, paraît-il, dans les années 90 vous aviez lancé également un mouvement de débrayage lors d’un sommet des Chefs d’état – il faut être très courageux pour oser une telle chose. De quoi s’agissait -il ?
Malick Sy : D’abord, la grève de nos collègues du Parlement européen: je pense qu’ils ont parfaitement raison parce que l’Union Européenne a signé un accord avec l’AIIC. C’est cet accord qui régit les conditions d’emploi et de rémunération des interprètes de conférence. Ce qui arrive souvent dans ces organisations, c’est qu’un technocrate arrive et décide de ne pas appliquer les dispositions de l’accord qui a été signé.
Donc les collègues ont bien fait d’organiser un mouvement social pour revendiquer l’application de l’accord. Je suis d’autant plus intéressé par cette question qu’actuellement je dirige la délégation de négociation de l’AIIC avec toutes les organisations des Nations Unies. Et les négociations sont très difficiles. Mais je pense que les interprètes ont le devoir de défendre leurs droits. J’ai enclenché les mouvements que nous avons eus au niveau de l’OUA aussi à l’époque.
MLI-BAS : C’était en quelle année, ce mouvement si célèbre dans le milieu de l’interprétation ?
Malick Sy : Déjà en 1980 lors du Sommet de Freetown ou Monrovia, je ne sais plus. Nous avions organisé un début de grève et très vite les Chefs d’État ont compris que nous étions déterminés et ils ont accepté nos revendications. Mais je voudrais dire que même si nous signons des accords avec les organisations, il appartient à chaque interprète individuellement, membre de l’AIIC ou pas, de défendre l’application de ces accords – parce que n’oubliez pas que notre profession n’est pas protégée et que c’est par ces accords que nous pouvons nous assurer d’avoir de bonnes conditions de travail et de rémunération.
MLI-BAS : Après ce mouvement de débrayage que vous aviez lancé, quelles ont été les conséquences, d’abord pour la profession ensuite pour vous-mêmes ? N’y avait-il pas eu de représailles ?
Malick Sy : Je pense que pour la profession c’était quelque chose de bien dans la mesure où nous affirmions notre professionnalisme. Mais personnellement, j’ai eu à subir des retours de bâtons puisque le gouvernement éthiopien de l’époque a estimé que le mouvement que nous avions organisé était destiné à combattre le régime éthiopien de l’époque. Et j’avais effectivement été déclaré persona non grata en Ethiopie. Mais depuis lors les choses se sont améliorées et l’Éthiopie a changé de gouvernement. Je suis retourné en Éthiopie plusieurs fois depuis lors. Disons que les choses sont rentrées dans l’ordre.
MLI-BAS : Est-ce que c’est ce mouvement que vous aviez lancé qui a mis un terme à votre contrat avec l’OUA ?
Malick Sy : Non, non, non. Pas du tout. En fait, l’OUA, face aux accusations du gouvernement éthiopien, avait demandé au gouvernement éthiopien de lui fournir des preuves. Et puisque les preuves n’avaient pas été fournies, l’OUA était arrivée à la conclusion que c’était des accusations fabriquées, sans fondement. Donc l’OUA avait décidé de me transférer au bureau de l’OUA à Genève. Donc, cela n’a pas vraiment affecté ma carrière à l’OUA.
MLI-BAS : Il se crée actuellement une association d’interprètes de Côte d’Ivoire, une association également au Bénin. Au Ghana, l’association (la GATI) existe déjà. Qu’en est-il du Sénégal parce que le Sénégal est vu sur le contient comme le pays où il fait bon vivre pour les interprètes, le pays où les conditions de travail sont très bonnes pour les interprètes. Est-ce que c’est dû à une association nationale au Sénégal ou c’est juste les actions de l’AIIC ?
Malick Sy : Je dois dire que moi je suis contre la création d’associations nationales parce que dès lors que vous créez une association, vous cherchez à avoir une législation qui protège la profession d’interprètes de conférences et le titre d’interprète de conférences chez vous. Maintenant, si vous avez une telle association, vous nuisez à la mobilité professionnelle des interprètes de conférences. Si vous prenez les ordres qui existent (les avocats, les médecins et autres), n’importe quel médecin ne peut pas aller pratiquer la médecine au Bénin sauf s’il y a des conventions qui lui permettent de le faire. Les avocats aussi. Mais vous avez vu que moi je suis recruté comme interprète, je viens au Bénin, je fais mon travail et je m’en vais. Mais s’il existe une législation maintenant, qui dise qu’il faut être de nationalité béninoise pour faire ce travail, alors les autres pays adopteront la même législation, comme je le dis vous nuirez à la mobilité universelle de la profession.
MLI-BAS : Pour rebondir sur votre intervention, pour la Côte d’Ivoire, les collègues ivoiriens ont insisté qu’on adopte une dénomination – l’Association des interprètes et traducteurs de Côte d’ivoire – qui ne fait pas penser qu’il faut être nécessairement ivoirien pour être membre de l’Association. Ils ont insisté sur cela parce que tout interprète vivant en Côte d’Ivoire – évidement pour garantir la mobilité – peut être membre de l’Association ; ce n’est donc pas limité aux ivoiriens.
Malick Sy : Mais reconnaissez que c’est quand même restrictif parce que vous dites « de Côte d’ivoire ». Est-ce que si je viens travailler en Côte d’Ivoire, je peux être considéré comme un interprète de Côte d’Ivoire ?
MLI-BAS : Oui, dès lors que vous êtes installé en Côte d’Ivoire.
Malick Sy : Non, je n’y suis pas installé. Moi je suis déjà installé au Sénégal. Mais si je viens travailler en Côte d’Ivoire, on peut m’opposer que je ne suis pas installé en Côte d’Ivoire et que je ne suis pas interprète de conférence de Côte d’Ivoire. Alors ?
MLI-BAS : ça c’est un autre débat. Je ne crois pas que cela fonctionne ainsi puisque déjà même dans les projets de statuts qui sont rédigés – j’ai (Moudachirou Gbadamassi) été le rapporteur de la toute première réunion de l’association – il n’y a pas eu mention de nationalité. Peu importe la nationalité que l’on a, dès lors qu’on est interprète de conférence reconnu et qu’on respecte le critère de nombre d’années et autres, on peut exercer dans le pays librement. Donc le problème de nationalité ne se pose pas.
Malick Sy : Il n’y a pas seulement le problème de nationalité ! Lorsque vous exigez par exemple un nombre d’années, ça veut dire que vous définissez la profession. Vous n’arriverez jamais – sauf si vous coordonnez et cela prend plus de temps – à avoir les mêmes critères dans tous les pays africains. Donc forcément, vous allez nuire à la mobilité professionnelle. Ensuite vous prêtez le front à des gens qui veulent juste monopoliser un marché, parce que j’ai déjà vu ça au Nigeria. Au Nigeria fort heureusement, nous avions pu bloquer le projet en utilisant le président du Parlement de la CEDEAO qui à l’époque était un nigérian et qui a bloqué le projet que les nigérians voulaient faire passer au Nigéria et qui allait conduire forcément à la réduction de la mobilité professionnelle des interprètes.
MLI-BAS : Pour revenir sur la question sous un autre angle, d’abord comment le Sénégal est organisé ? Qu’est-ce qui fait cette réussite du Sénégal ?
Malick Sy : D’abord au Sénégal, si vous l’avez remarqué, nous n’avons pas d’association nationale. Nous avons refusé de créer une association nationale. Nous avons refusé délibérément, il est vrai sous mon impulsion parce que tout simplement, nous, ce que nous reconnaissons c’est le professionnalisme. Et pour ce professionnalisme, le meilleur gage que l’on trouve c’est l’appartenance à l’AIIC. Donc nous sommes bien organisés ; nous tenons des réunions sous régionales AIIC, mais nous étendons ces réunions à tous ceux qui pratiquent la profession d’interprète de conférences. C’est-à-dire que lorsque nous tenons une réunion, nous invitons tous les gens qui pratiquent la profession d’interprète de conférences. Il y a ceux qui appartiennent à ce qu’on appelle communément « marché gris ». Mais lorsque nous les invitons, nous leur disons : « Ecoutez, vous avez le droit de travailler. Mais il y a des conditions que vous devez appliquer. Les conditions de travail, vous les connaissez. D’ailleurs, pourquoi vous accepteriez de gagner cinq fois, six fois moins que ce que vous pouvez gagner ? » Nous leur expliquons qu’ils doivent pratiquer les mêmes taux que nous ; et comme ça, nous pouvons travailler pacifiquement, travailler ensemble. Telle est la réalité du marché du Sénégal. Et donc nous sommes plus rigoureux, plus professionnels que dans d’autres marchés.
MLI-BAS : Comment arrivez-vous à maîtriser le marché gris ?
Malick Sy : Quelle est la cause du marché gris ? C’est les gens qui se disent interprètes de conférences et qui pensent qu’ils ne sont pas assez compétitifs, qui ne travaillent pas assez sur le marché. Nous, nous veillons à ce que personne ne soit exclu, parce que dès lors qu’il y a des gens qui sont exclus ils vont faire du marché gris. Donc, nous essayons d’élargir autant que possible le recrutement, de faire travailler tout le monde autant que faire se peut. Et vous serez surpris ! Des gens que nous pensions au début qu’ils appartenaient au marché gris, nous avons fini par découvrir qu’ils étaient de bons interprètes et parfois d’excellents interprètes et nous les avons récupérés pour qu’ils deviennent membres de l’AIIC. Je crois que la première posture à ne pas avoir c’est de considérer que les autres sont du marché gris, de leur coller une étiquette. Moi je pense que la démarche à avoir, c’est de prendre l’interprète intrinsèque, sa qualité de travail, ses combinaisons linguistiques et privilégier cela sur les étiquettes.
MLI-BAS : Il y a un bruit qui court sur le fait que le marché sénégalais est fermé aux interprètes des autres pays. Que répondez-vous ?
Malick Sy : On dit que les autres n’arrivent pas à intégrer le marché du Sénégal ou à venir travailler au Sénégal ? En fait c’est une mauvaise querelle au Sénégal ; parce qu’il y a des collègues étrangers qui se sont installés au Sénégal : gambiens, nigérians, et camerounais – Vincent Dan est un exemple parmi tant d’autres. Et ça se passe très bien ! Maintenant le problème qui se pose, et ce problème affecte tous les marchés africains, c’est le problème du retour vers la langue B. Malheureusement, les collègues travaillent systématiquement vers leurs langues B et qui est souvent l’anglais. J’étais contre ce principe au départ, mais c’est ce qui se fait dans toutes les autres régions africaines. Et c’est ce qui fait que, comme il y a déjà un grand nombre d’interprètes au Sénégal, en tout cas plus que dans les autres régions africaines, ils couvrent les besoins, entre guillemets ; bien que je sois toujours convaincu que rien ne vaut une langue A. Donc moi j’aurais préféré que nous ayons pu obliger les gens à travailler systématiquement dans leur langue A, quitte à faire une certaine petite dérogation pour les réunions courtes d’un jour, de deux jours, etc. Mais ça, c’est une décision qu’il faut prendre au niveau du continent, pas seulement au niveau du Sénégal.

MLI-BAS : Nous publierons dans les jours à venir un article intitulé Disparition programmée de l’interprétation de conférences. Cet article, pour le résumer, parle des facteurs qui feront que notre profession va finir par disparaître : l’intelligence artificielle, les initiatives lancées par Google et d’autres grands de la technologie informatique, etc. Qu’en pensez-vous en deux mots ?
Malick Sy : Vous parlez peut-être de ce qu’on appelle obsolescence programmée pour les téléphones, pour les machines et tout cela. Ce qui fait la différence entre nous et les machines, c’est l’intelligence humaine. Vous voyez, lorsque vous parlez d’obsolescence programmée, vous parlez d’intelligence artificielle. Parce qu’elle est artificielle, comme son nom l’indique, elle ne vaudra jamais l’intelligence humaine. Et les gens auront toujours besoin d’utiliser l’interprétation de conférence surtout pour les négociations, pour les grandes organisations et autres. S’il s’agit de communiquer simplement, là ce n’est pas de l’interprétation de conférence. C’est Community Interpreting. Peut-être qu’à ce niveau-là, l’intelligence artificielle peut être satisfaisante. Et là même je dis peut-être satisfaisante. Mais pour ce qui est de la communication de haut niveau, je suis convaincu que l’interprétation de conférences a de beaux jours devant elle.
MLI-BAS : Merci pour cette note d’espoir. Les jeunes interprètes fraichement sortis d’école ou qui ont quelques années d’expérience disent souvent qu’il faut que les anciens cèdent un peu la place aux jeunes pour que les jeunes aussi puissent avoir une part du gâteau. Or il se dit souvent que l’interprète, comme le vin, se bonifie avec le temps. Alors comment faire l’équilibre entre le choix du moment précis où fait valoir ses droits à la retraite et la volonté de céder une petite place au soleil aux jeunes ?
Malick Sy : Vous savez, je suis convaincu pour ma part que personne n’a le monopole de cette profession, que si nous aimons cette profession nous ne pouvons pas ne pas vouloir que les jeunes intègrent cette profession. C’est pour ça d’ailleurs que je fais beaucoup de formation maintenant. Je forme des interprètes à Gaston Berger à Dakar, dans le cadre du PAMCIT (Panafrican Masters in Conference Interpreting and Translation). Donc si j’étais convaincu qu’il ne fallait pas faire la place aux jeunes, je ne serais pas parmi les enseignants de ce programme. D’ailleurs, certains collègues nous l’ont reproché à Dakar, nous demandant pourquoi nous faisons cette formation. Maintenant, il faut que les jeunes aussi comprennent qu’ils doivent se battre pour intégrer le marché. Personne ne va leur faire de cadeau. Personne ne va leur laisser la place pour qu’ils trouvent du travail. Il faut qu’ils soient des professionnels rigoureux. Nous, quand on était arrivé sur le marché, il ne faut pas croire que c’était facile. Quand on était arrivé dans la profession, il n’y avait que des interprètes européens ! Il a fallu que vous nous battions. Personne ne nous a fait de la place. Nous nous sommes battus pour nous imposer. Et c’est parce que nous nous sommes battus pour nous imposer que j’invite ces jeunes aussi à se battre et à faire aussi montre de rigueur et de professionnalisme. Nous pensons que le marché d’interprétation est en train de se développer en Afrique et qu’il y a de places pour des interprètes compétents. Mais si c’est des gens qui veulent faire valoir leur âge pour trouver du travail, cela ne marchera pas.
MLI-BAS : Cela me facilite la transition vers la question suivante. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes pour avoir une carrière réussie dans la profession ?
Malick Sy : Je pense que notre profession est une très belle profession. Mais pour avoir une carrière réussie, il faut s’armer de principes. Il faut avoir une éthique. Il faut respecter les principes de la profession. Il faut être rigoureux, professionnel, bien préparer ses conférences, et être rigoureux pendant les conférences. Il faut aussi devenir membre de l’AIIC parce qu’actuellement c’est l’AIIC qui définit et protège la profession des interprètes de conférences. Je pense et j’espère que les jeunes vont non seulement intégrer la ligue mais peuvent prendre les postes de responsabilité pour défendre la profession sur notre continent.
MLI-BAS : Et sur le plan santé ?
Malick Sy : C’est un métier qui est très exigeant. Je pense qu’il faut d’abord faire beaucoup de sport, beaucoup d’exercices, savoir décompresser., avoir une bonne hygiène de vie .
MLI-BAS : Il y a une question que j’aime poser aux anciens. Il paraît qu’à l’époque, vous étiez si gâtés que les organisateurs demandaient votre calendrier pour fixer les dates des réunions. Est-ce vrai ? Nous les jeunes, on se dit que c’est inimaginable !
Malick Sy : Est-ce que c’est vraiment être gâté ? Moi je vais vous donner un bon exemple : le Président Nyerere. J’avais fini par développer des relations avec le Président Nyerere au fil des conférences ; et je peux vous raconter plein d’exemples. Par exemple, nous étions à Brazzaville pour une réunion. A l’époque, les états de l’Afrique de l’ouest et du centre tenaient ce qu’ils appellaient les conférences de bon voisinage. Le Président Nyerere était là. Et il devait faire une conférence devant le parti congolais du travail. L’un des collaborateurs de Nyerere me connaissait et il savait que j’étais un fan de Nyerere. Il m’a dit : « Écoutez, le Président va faire une intervention. On n’a pas un interprète assez bon. Est-ce que vous pouvez vous libérer ? » Je suis allé avec plaisir. Et le Président Nyerere a fait sa présentation que j’ai interpréteé. Et quand j’ai fini, le Président Marien Ngouabi qui était à l’époque le président du Congo a dit : « Avant de remercier le Président Nyerere, je voudrais remercier l’interprète parce qu’il nous a vraiment permis de suivre mot à mot ce que disait le Président Nyerere. Est-ce qu’on peut demander à l’interprète de descendre dans la salle ? » Donc je suis descendu de ma cabine et je suis arrivé dans la salle et Nyerere qui dit : « But I know this young man. His name is Malick. He always steals the show from me ». Donc, par la suite, quand le Président Nyerere a été nommé médiateur pour le processus de paix au Burundi, il a demandé aux Nations Unies de me recruter pour venir travailler avec lui. Et c’est vrai que lui par exemple, lorsque les gens voulaient fixer une date de réunion, il disait « est-ce que vous avez demandé à Malick s’il était disponible ? ». Mais ça c’est des relations qui se sont sont tissées avec le temps ! Ce n’était pas que nous étions des enfants gâtés mais c’était la rançon de notre professionnalisme. C’est ce professionnalisme que nous avions affiché qui faisait que les gens nous faisaient confiance ! J’ai plein d’histoires des « bagarres » que nous avons menées pour défendre la profession.
MLI-BAS : Quel a été votre contrat d’interprétation le plus long ?
Malick Sy : Le plus long peut être, justement parlant du processus de paix au Burundi, on m’avait recruté une fois pour un contrat de sept semaines. C’était à Arusha mais la réunion a duré trois jours. Comme c’est des négociations, les négociations avaient échoué dès le début. Mais les Nations Unies avaient probablement commis l’erreur administrative de nous donner des contrats aussi longs parce qu’ils se disaient que ça allait durer. Donc, on a travaillé trois jours ou deux jours et demi, mais ils nous ont payé les sept semaines, sans les per diem bien-sûr.
MLI-BAS : Wao ! C’était comme un jackpot !
Malick Sy : Vous savez, aux Nations Unies lorsque vous avez un contrat de plus de soixante jours, le taux varie. On ne vous paie plus le taux journalier qui est prévu pour la rémunération des interprètes. Mais dans ce cas d’espèce, ça ne faisait pas soixante jours.
MLI-BAS : Votre plus belle cabine ? Est-ce que c’était ce jour où Nyerere a demandé que vous descendiez dans la salle ou une autre occasion ?
Malick Sy : J’ai vraiment eu des relations très spéciales avec Nyerere. Je crois que c’est avec lui que j’ai connu les plus belles séances. Disons que, où je me suis senti fier du travail que je faisais. Mais c’est aussi parce que j’adhérais aux théories de villagisation ou ujamaa de Nyerere. Je pense que c’était la voie royale pour que l’Afrique se développe et maintienne son indépendance.
MLI-BAS : Le pire de vos souvenirs en cabine ou dans l’exercice de cette profession ?
Malick Sy : Écoutez, j’ai beaucoup d’exemples mais jamais de mauvais souvenirs. Au contraire, les cas où j’ai souffert, après j’en ai gardé de très beaux souvenirs. Je peux vous raconter ce qui nous est arrivé à Mogadiscio lors du sommet de l’OUA en Somalie en 1974 où moi j’étais à l’époque le chef-interprète de l’OUA. Je m’étais absenté de la cabine pour aller chercher des documents et des militaires sont venus, ont raflé tout le monde, tous les interprètes. C’était des militaires somaliens qui étaient des analphabètes et qui pensaient que c’était des journalistes. Ils les ont sortis à la pointe du fusil. Ils les ont enfermés dans une salle. Et pendant qu’ils les amenaient pour les enfermer dans une salle je les ai rencontrés dans le couloir et un collègue ghanéen, Emmanuel Atynio pour ne pas le nommer qui – je crois , voulait me jouer un tour- qui a dit aux soldats qui les escortaient “This is our boss” . Il me dit « Et puis le chef des militaires qui me lança : « You boss, come here ! ». Et ils m’ont mis dans le groupe et nous ont enfermés dans une salle. Et c’est finalement le Secrétaire général qui est venu nous libérer ! Il y a beaucoup d’autres exemples ! Vous savez, ce qui fait qu’une carrière d’interprète est aussi intéressante c’est que vous avez beaucoup d’anecdotes à raconter à vos petits-enfants. Beaucoup d’histoires intéressantes !
MLI-BAS : Très intéressant ! C’est toujours un grand plaisir d’entendre ces expériences des sommités de la profession. Merci une fois encore pour nous avoir accordé cet entretien.
Malick Sy : Merci beaucoup même si je ne me considère pas comme une sommité.
— FIN —
Échange très édifiant, bon boulot MLI.
Un entretien fortement édifiant et instructif, Merci au MLI et plus précisément à M. Moudachirou qui nous permet de découvrir des aspects si importants de la profession. Merci d’être cet apporteur mais aussi ce porteur de lumière pour les plus jeunes !
C’est toujours un plaisir de découvrir le parcours de titans de votre domaine d’activité. On y gagne toujours quelque chose. Bon vent au doyen et beaucoup de chance à chacun de nous.
Merci au confrère GBADAMASSI.
Merci Moudachirou !
Merci Président Malick Sy ! Toutes les réunions couvertes avec toi ont été des expériences inoubliables !
Cet entretien est vraiment édifiant, il nous a ouvert les yeux sur beaucoup de choses concernant la profession.
Merci cher aîné, vous êtes ouvert d’esprit et prêt à partager vos connaissances à avec la jeune génération.
Merci d’avoir également démystifié l’adhésion à l’AIIC et je profite pour demander les critères d’éligibilité pour être membre de l’AIIC.
Merci à tous les Doyens qui ont fait le chemin avant notre naissance ou simplement avant nous. Ces conseils sont très instructifs et ils ne sont pas tombés dans les oreilles d’un sourd